Je préfacerai cette entrée en précisant que je n'ai pas suivi la controverse immédiate qu'a soulevée le Bye Bye 2015, et ceci, pour deux raisons. La première a trait au fait que j'étais en voyage et donc très peu réceptive aux nouvelles n'ayant pas fait sensation et la seconde découle essentiellement du fait que la télévision québécoise ne m'intéresse guère, en raison de son homogénéité fade et son manque criant de diversité. Cette dernière explication étant établie, il en convient que même si j'avais été au Québec lors de la diffusion du Bye Bye, j'aurai tout de même raté le segment où Normand Brathwaite, dans une parodie à saveur blackface, a interprété le journaliste discrédité, François Bugingo. Fort heureusement, j'ai plus tard été extirpée de mon ignorance lorsque dans le contexte d'une discussion sur la discrimination mon interlocuteur m'a brièvement expliqué le tollé qu'avait créé cette fameuse saynète. Ma curiosité piquée, j'ai pris l'initiative de visionner la parodie puis j'ai lu, avec quelques regrets, les diverses opinions se rattachant à la polémique.
Néanmoins, même avec mon train de retard, l'émoi qu'a créé ce cas de blackface a, je dois bien l'admettre, éveillé en moi un besoin d’exprimer mon mécontentement puisque, du coup, j'ai réalisé que le débat soulevé transcendait le « star-système » québécois que j'ai longtemps méprisé. Cela dit, dans cette entrée, je ne détaillerai pas de façon exhaustive les événements qui ont entouré la controverse; je vous laisse le soin de cette tâche. Mon but ici n'est pas de faire un travail journalistique ni de traiter spécifiquement du sketch qui, après maintes réflexions, n'est qu'un symptôme d'une normalisation de l'insensibilité raciale dans nos sociétés. Alors, tout en offrant des éclairages essentiels sur la pratique du blackface, mon objectif est de déconstruire, dans les lignes qui suivront, tant les propos décevants et fallacieux que tiennent certains sur le blackface que les commentaires controversés de Louis Morissette, producteur du Bye Bye.
Qu'est-ce que le blackface?
Le blackface, en son sens le plus primaire, est l'action de porter au visage un maquillage qui noircit le teint. Dans divers contextes, des individus ont recours à cette méthode afin d'incarner, d'imiter ou de se moquer, de manière grotesque, d'une personne noire. Toutefois, au-delà de cette définition, se vêtir en ce que l'on croit être un Noir, c'est-à -dire le port d'une perruque imitant l'afro ou autre coiffure typiquement « noire »; le port d'un nez prosthétique; l'épaississement des lèvres ou l'usage d'un accent, le tout en arborant un fard qui assombrit la peau, sont également des méthodes qui s'inscrivent dans la définition plus large du blackface.
Dans un cadre historique, et ce, pendant les années 1800, cette pratique était courante au sein des spectacles américains appelés « minstrel show » où musique, chant, danse et entracte comique rassemblaient un grand public majoritairement si pas exclusivement, caucasien. Dans ces prestations, les acteurs blancs, le visage noirci, se lançaient dans des routines qui tournaient en ridicule les Afro-Américains, tout en personnifiant des stéréotypes dépréciatifs associés à ceux-ci. Résultat, les comédiens des minstrels, à travers leur déshumanisation systématique des NoirEs, les caricaturaient, mais aussi, renforçaient les structures racistes et ségrégationnistes des États-Unis.
Ainsi, pour ceux qui ne saisissaient pas la colère que le Bye Bye a suscitée chez plusieurs, la raison est simple: le blackface est insultant et blessant en raison de son histoire raciste certes, mais aussi conformément au fait que la pratique réduit inévitablement l'identité noire à une caricature qui délaisse une réalité, à savoir que les NoirEs détiennent une identité riche et complexe qui ne peut être fidèlement dépeinte par un maquillage standard accompagné d'un déguisement « Noir ». L'idée en soi est absurde.
Le blackface, un concept américain?
Pourtant, certains avancent l'idée que le blackface est strictement un concept américain et, à travers ce principe, en concluent que l'émoi survenu suite à la parodie de François Bugingo n'est pas fondé. Puis, des gens illusionnés et aveuglés par leurs privilèges iront jusqu'à affirmer que le racisme n'existe plus au Québec omettant conséquemment de reconnaître que La Belle Province partage une longue histoire d'amour avec la xénophobie. Entre autres exemples, je fais allusion aux propos de Jacques Parizeau à la suite du référendum de 1995, à la réaction de Québécois qui s'opposent à l'arrivée des réfugiés syriens et au calvaire que vivent plusieurs immigrants qualifiés dans leur processus de recherche d'emploi. Sans aucun doute, ces faits sont tous des évidences qui démontrent malheureusement que le Québec est loin d'être une société post-raciale comme plusieurs aiment le dépeindre.
Pour en revenir à la question de base, dans un article que j'ai lu, le chroniqueur arguait que l'indignation ressentie était injustifiée puisque le Québec n'avait pas connu « l'odieuse histoire du racisme américain » et que l'esclavage, la ségrégation et les minstrels n'étaient pas « leur » histoire. Ce dernier poursuit en accusant ceux qui se sont exprimés contre le blackface présent dans le Bye Bye de se ficher « de l'histoire de notre peuple et de sa culture ». Chers lecteurs, pour un court aparté, je vous invite à prêter attention à l'exclusion flagrante présente dans les propos de ce chroniqueur par sa présomption franchement écÅ“urante, à travers son utilisation du « Nous » qui oppose intrinsèquement un « Eux », que les contestataires du blackface, nées au Québec ou ailleurs, ne connaissent pas l'histoire de leur terre natale ou d’accueil. Par cette affirmation sournoise, ce dernier sous-entend nécessairement que les individus qui se prononcent contre la pratique du blackface, et ceci, en présentant des arguments valides, ne font aucunement partie de la culture québécoise et s'inscrivent dans une catégorie « autre ». Entre d'autres termes, ils ne sont pas des Québécois.
À ces propos qui m'ont énormément dérangée, je réponds à ce chroniqueur que « votre » histoire m'a été inculquée en tant qu'immigrante, de mon arrivée au primaire à mes études collégiales et encore de nos jours. Moi-même et tant d'autres qui n'acceptons pas cette pratique odieuse, maîtrisons l'histoire du Québec ou du moins ne sommes pas complètement ignorants envers celle-ci. Toutefois, à la lueur de ces propos impertinents, je ne peux qu'en conclure que ce chroniqueur a lui même des lacunes historiques puisqu'il avance que l'esclavage, le racisme et le blackface sont exclusifs aux États-Unis, alors que ces déclarations s'avèrent être erronées.
Effectivement, quiconque ayant un souci pour l'histoire des noirs saurait que ni le Québec et ni même le Canada n'a échappé aux ravages de l'esclavage des noirs ou du blackface, comme l'explique si bien l'anthropologue Micheline Labelle. Cette dernière, se spécialisant dans les questions de « race » et de racisme, s'est exprimée éloquemment dans un entretien avec le Montreal Gazette sur l'argument incohérent utilisé par plusieurs défenseurs du blackface: « Certes, le Québec ne partage pas la même histoire que les États-Unis en matière de traite d'esclave NoirEs, mais tout comme leur voisin, elle connait une histoire colonialiste [...] Il y avait de l'esclavage autant au Canada français qu'au Canada anglais. Bien entendu, l'esclavage que le Canada a connu n'était pas du même calibre que celle des Américains; ce n'était pas de l'esclavage de plantation, mais il demeure que les idéologies racistes, tout comme les idéologies sexistes, sont des réalités vécues à l'échelle planétaire. Ces deux éléments, à savoir le racisme et le sexisme, font partie d'une culture géopolitique du système mondial. Il en convient que ces réalités prennent différentes formes selon l'endroit où évolue un individu, mais, cela dit, le Québec ne s'en échappe pas. » (traduction libre de l'anglais)
Parallèlement, pour taire une fois pour toutes la thèse que la tradition du blackface ne s'inscrit pas dans l'histoire du Canada ou du Québec, la professeure agrégée du programme d'histoire de l'art de l'université McGill, Charmaine Nelson, invite les sceptiques allergiques aux faits historiques à repenser leur argumentaire dans ces passages d'un article du Montreal Gazette: « Au musée McCord, l'on peut retrouver des clichés de minstrels qui se sont déroulés à Montréal [...] Il y avait des troupes américaines de grandes renommées qui venaient faire des spectacles au Canada, mais aussi à Montréal. Nous avions même nos propres troupes canadiennes. [...] Aller jusqu'à affirmer que ce n'est pas notre histoire est faux. » (traduction libre de l'anglais)
En d'autres mots, il ne revient pas à une poignée de réactionnaires de réécrire l'Histoire ou d'en donner leurs interprétations révisionnistes. S'entêter à croire que l'histoire du Québec n'est pas tachée par l'esclavagisme, le racisme ou même du blackface est aberrant. Certes, et je le réitère, l'esclavage au Québec n'était pas aussi massif que celle des États-Unis, mais non pas parce que les Canadiens et les Québécois étaient moralement supérieurs aux Américains, mais en raison du fait qu'il n'y avait pas eu l'établissement du système d'exploitation agricole qu'est les plantations de grandes ampleurs. En rétrospection, un tel système aurait requis une main-d'oeuvre non payée, à savoir des esclaves, tel qu'expliqué dans cet excellent article. Mais assurément, de par l'intransigeance des personnes qui nient le racisme associé au blackface, il est facile pour ces derniers d'ignorer le contexte dénigrant de la pratique afin de mieux apprécier ce que je qualifie d'humour médiocre. Pour les partisans de cette pratique, imposer leurs visions apologistes en créant de faux débats n'est qu'un moyen, malheureusement efficace pour ceux qui manquent de jugeote, d'ignorer le « chiâlage » des mécontents. Or, vouloir et demander l'abrogation de la pratique n'est pas une question d'un manque de sens de l'humour ou une question de soumettre le blackface « made in Québec » à une idéologie supposément américaine. De plus, telle que l'affirme Charmaine Nelson, une chose importante à retenir est que l'intention derrière le geste est sans importance. Peu importe si le motif derrière un acte de blackface est de bonne ou de mauvaise foi, il demeure que rien ne pourra dissocier l'acte de son aspect dérisoire et de sa charge historique.
En revanche, il est important de clarifier qu'indépendamment du fait que le blackface soit lié aux minstrels et à une histoire raciste, elle peut maintenir sa dimension blessante et déshumanisante en dehors de cette sphère théâtrale et discriminatoire. Et là , je fais référence à un néo-blackface.
Le néo-blackface
Évidemment, je n'ai pas inventé ce néologisme, mais en bref, le néo-blackface fait référence à un blackface post-minstrels. Il s'agit en fin de compte du même concept, mais inséré dans un contexte socio-culturel différent. Pourtant, bien que dans cette mutation du blackface le but n'est pas forcément de ridiculiser la négritude, sa pratique détient tout de même un caractère insultant dans sa simplification de l'identité noire. À titre d'illustration, le néo-blackface est retrouvé dans certains films et surtout lors des périodes festives comme l'Halloween.
Hélas! Contrairement au mythe, le Québec n'est pas à l'abri de ce fléau. En 2011, lors d'une activité célébrant le début de la session, des étudiants de l'Université de Montréal, pour prêter « hommage » à l'athlète jamaïcain Usain Bolt, se sont peinturluré le visage de maquillage noir en arborant des perruques à la dreadlocks tout en étant vêtus d'un accoutrement qui rappel les couleurs traditionnelles de la Jamaïque. Notez que ces derniers scandaient à l'unisson « fumons plus de marijuana » pendant le rassemblement. Puis, en 2013, c'est au tour du comédien Mario Jean, lorsqu'au Gala des Oliviers, ce dernier s'est déguisé en Boucar Diouf. Puisque que c'est à la mode, Joël Legendre, toujours en 2013, rejoint la nouvelle lubie lorsqu'il feint Gregory Charles au Bye Bye 2013 en faisant du blackface. Également, en 2014, le Théâtre du Rideau Vert laisse sa marque dans cette liaison qui perdure entre le divertissement québécois et le blackface. En effet, lors du spectacle Revue et corrigée, un comédien, le visage barbouillé d'un fard noir, a incarné P.K. Subban, l'habile défenseur du Canadiens de Montréal, dans une capsule vidéo diffusée au courant du spectacle.
Malheureusement, ces événements ont majoritairement été décriés dans les médias anglophones. Plusieurs médias francophones se sont soient tu sur le sujet ou ont qualifiés la réaction de ceux qui désapprouvent le blackface, d'excessive. Là -dessus, il n'y a rien de nouveau! Néanmoins, pour autant que la « race » ou l'ethnicité seront des facteurs déterminants dans l'acquisition d'opportunités, pour autant qu'une « race » sera davantage la cible de joke poches comparativement aux autres « races » et pour autant que le niveau de dignité d'une personne sera proportionnel à sa couleur, on ne parlera pas d’excès lorsqu'un groupe se mobilise pour mettre fin à une pratique qui n'a pas sa place dans une société dite égalitaire. La « race » même en étant un construit, a des répercussions réelles et c'est pour cette raison que le blackface, aussi radicale que ça puisse paraître, n'est pas acceptable même dans un contexte humoristique.
Louis Morissette et son manque de tact
À travers les propos de Louis Morissette, l'on peut certainement apercevoir une grande insensibilité. Toutefois, je ne le qualifierai pas de raciste. Plutôt, Louis Morissette est un individu qui baigne dans son privilège d'homme blanc, hétérosexuel, vivant confortablement, et le tout, en possédant l'entièreté de ses capacités physiques et cognitives. Ces dernières lignes, à mes yeux, sont les assises qui, entres autres facteurs, appuient la raison pour laquelle un homme étant constamment validée par la société et dont l'identité est rarement la cible de moqueries stigmatisantes a de la difficulté à concevoir pourquoi un sketch avec un cas de blackface est décrié par plusieurs. Mais vraisemblablement, Louis Morissette semble ne pas vouloir atteindre ce niveau de compréhension puisque tel un enfant capricieux, ce dernier s'est plaint dans le magazine Véro d'avoir eu à céder aux « menaces » de quelques responsables à Radio-Canada qui lui conseillaient d'engager un acteur noir pour interpréter François Bugingo, un noir! À contrecoeur, il me semble puisqu'il a avoué s'être senti forcé d'engager un Noir, celui-ci engage l'acteur Normand Brathwaite, un mulâtre qui comme vu, arborait du blackface. En poursuivant sa réflexion dans sa médiocre plainte, Morissette se questionne sur l'interchangeabilité des gens. Pourquoi un Blanc ne peut jouer un Noir, se demande t-il? Pourquoi, ne pas simplement engagé un acteur Noir pour joué un Noir, ai-je envie de lui demander? Les Blancs monopolisent déjà suffisamment les rôles de personnages principaux. Et qu'il m'épargne l'argumentaire de ghettoïsation ou de communautarisme des Noirs ou autres groupes racisés, sous le pretexte qu'il faut éviter de se caser dans son identité. Parce que oui, il y a une certaine ségrégation volontaire au sein des gens racisés, mais c'est justement parce qu'il n'y a pas une envie d'inclusion de la part du groupe dominant.
Finalement, pour s'enfoncer davantage dans son ignorance, Morissette affirme que la réaction des protestataires du blackface présent dans le Bye Bye qu'il a produit était une attaque à sa liberté artistique tout en surnommant lamentablement ceux-ci de « Moustiques » du fait qu'ils soient « gossants ». Cependant, ce que M. Morissette ne semble pas comprendre est que, comme l'affirme le politicien Amir Khadir, « la notion du blackface ne relève pas de la liberté de création » et qu'en second lieu, la réaction des « Moustiques » n'est pas une tentative de censure envers son art, mais plutôt un effort de la part de ceux-ci, à travers leurs revendications, de proscrire le blackface et d'encourager une plus grande diversité dans les écrans, dignes de la démographie actuelle du Québec. Non pas une représentation stéréotypée des groupes racisés comme l'exemplifie très bien cet article.
Dans une autre lignée, Louis Morissette étant un scénariste et un réalisateur, il est de sa responsabilité d'assumer les réactions tant négatives que positives qu'engendrent ses créations. L'art est subjectif et n'éveille pas en chacun une réaction uniforme. En ce sens, se plaindre d'une attaque envers la liberté créatrice parce que des citoyens osent se prononcer contre un contenu douteux est insensé et démontre un désir invraisemblable d'atteindre une unanimité. Or, pourvu qu'il existe une liberté de créer, les consommateurs de cet art auront à leur tour la liberté d'exprimer leurs critiques, nonobstant leurs natures.
Ces « Moustiques » qui inventent
Ce qui m'a davantage titillée dans cette mêlée sont les tentatives acharnées de certains de dépeindre les individus qui demandent l'éradication totale de la pratique du blackface au Québec comme étant de simple vaux rien qui cherchent à semer la pagaille. Notamment, ces attaques sévères proviennent de chroniqueurs et d'usagers de médias sociaux. Ces gens là , au lieu d'essayer de comprendre la cause fondamentale des frustrations, se plaisent à réfuter absolument tout et utilisent leur plate-forme publique afin de diminuer l'importance des revendications. Des termes tels que « chialeux professionnels » ; « empêcheurs » ; « antiracistes radicaux » ; « gauchistes » ; « moustiques » et « experts sociaux » sont les qualificatifs déplorablement choisis par des chroniqueurs pour insulter sournoisement des gens de toute horizon, unis pour une même cause et soutenant quatre simples demandes: l'abolition du blackface au Québec, une meilleure représentation des minorités dans les médias et les établissements des arts québécois, des excuses publiques de la part de Louis Morissette et finalement, l’établissement d'un plan clair, par les différents paliers gouvernemental, visant à combattre la discrimination et le racisme.
Mais en vain, pour la chroniqueuse Sophie Durocher, cette mobilisation est perçue comme étant une violation de la liberté d'expression de Louis Morissette et critiquer les propos de la vedette revient à le censurer. Tous des arguments qui semblent souvent revenir, à tort. De plus, pour la chroniqueuse, affirmer qu'il y a un manque de diversité dans les écrans québécois est un mensonge. Or, ce qui échappe aux gens qui partagent un discours se rapprochant à celui de Sophie Durocher est que l'existence d'organismes tels que Diversité Artistique Montréal (DAM), dont justement la mission est la promotion de la diversité culturelle en favorisant l'inclusion, n'est pas une initiative futile. L'établissement d'une telle institution est précisément dans l'optique de contrecarrer la triste réalité qu'est le manque de diversité dans les instances artistiques et culturelles du Québec. Le mensonge est de clamer le contraire.
Une chose est claire, ces raisonnements ne font que subsumer le sujet du blackface dans des débats sur la liberté d'expression, la censure et autres sujets importants, certes, mais non liés. En fait, ces rhétoriques sont de piètres tentatives de déviation. Néanmoins, cette banalisation constante des cas d'insensibilité raciale me choque réellement. Notamment, j'observe que parler de racisme semble équivaloir à crier aux loups pour certains. Par exemple, dans son article en défense de Louis Morissette, Mathieu Brock-Côté caractérise ceux qui ont exprimé leur indignation envers le blackface comme étant des individus faisant « carrière dans les lamentations victimaires » puis énonce ceci: « nos antiracistes extrêmes ont besoin de s'imaginer une société raciste pour continuer de militer et de s'indigner. Ils sont dominés par un fantasme. Et ils veulent nous l'imposer aussi. » Désapprouver la forte réaction contre le blackface avec des arguments valides, certainement, mais nier l'existence du racisme va trop loin, car ce qui est une réalité est la présence actuelle du racisme dans la société québécoise et elle va au-delà d'une discrimination flagrante. Le racisme est subtil et systémique et d'ailleurs, il peut se manifester lorsque des individus perçoivent un groupe racisé comme un simple déguisement.
Tout de même, il y a long à dire lorsque, dans une société prétendument égalitaire, s'exprimer contre une pratique clairement désuète et qui, à travers son caractère réducteur, terni la dignité d'un groupe, amène des individus à ouvertement présenter ceux-ci comme étant déraisonnables. Ça devient particulièrement grave, lorsque cette attaque provient de la part d'individus qui prônent la liberté d'expression et déplorent la censure. De plus, ce qui m'irrite encore plus chez ces gens qui refusent de comprendre le pourquoi de la perversité du blackface, est leur manie à taire ceux qui sont personnellement indignés tout en leur dictant ce qu'il devrait trouver offensif et ceci en avançant de faux postulats allant de l'affirmation que le blackface est un concept américain à l'affirmation que le blackface fait par un Noir n'est pas tout aussi outrant. Je suis davantage consternée lorsque cette forme d'autoritarisme, de paternalisme et de condescendance se manifestent chez des individus dont l'identité ne sera jamais la cible de tentatives massives d'incarnation de leur « race ».
Dans un cadre historique, et ce, pendant les années 1800, cette pratique était courante au sein des spectacles américains appelés « minstrel show » où musique, chant, danse et entracte comique rassemblaient un grand public majoritairement si pas exclusivement, caucasien. Dans ces prestations, les acteurs blancs, le visage noirci, se lançaient dans des routines qui tournaient en ridicule les Afro-Américains, tout en personnifiant des stéréotypes dépréciatifs associés à ceux-ci. Résultat, les comédiens des minstrels, à travers leur déshumanisation systématique des NoirEs, les caricaturaient, mais aussi, renforçaient les structures racistes et ségrégationnistes des États-Unis.
Ainsi, pour ceux qui ne saisissaient pas la colère que le Bye Bye a suscitée chez plusieurs, la raison est simple: le blackface est insultant et blessant en raison de son histoire raciste certes, mais aussi conformément au fait que la pratique réduit inévitablement l'identité noire à une caricature qui délaisse une réalité, à savoir que les NoirEs détiennent une identité riche et complexe qui ne peut être fidèlement dépeinte par un maquillage standard accompagné d'un déguisement « Noir ». L'idée en soi est absurde.
Le blackface, un concept américain?
Pourtant, certains avancent l'idée que le blackface est strictement un concept américain et, à travers ce principe, en concluent que l'émoi survenu suite à la parodie de François Bugingo n'est pas fondé. Puis, des gens illusionnés et aveuglés par leurs privilèges iront jusqu'à affirmer que le racisme n'existe plus au Québec omettant conséquemment de reconnaître que La Belle Province partage une longue histoire d'amour avec la xénophobie. Entre autres exemples, je fais allusion aux propos de Jacques Parizeau à la suite du référendum de 1995, à la réaction de Québécois qui s'opposent à l'arrivée des réfugiés syriens et au calvaire que vivent plusieurs immigrants qualifiés dans leur processus de recherche d'emploi. Sans aucun doute, ces faits sont tous des évidences qui démontrent malheureusement que le Québec est loin d'être une société post-raciale comme plusieurs aiment le dépeindre.
Pour en revenir à la question de base, dans un article que j'ai lu, le chroniqueur arguait que l'indignation ressentie était injustifiée puisque le Québec n'avait pas connu « l'odieuse histoire du racisme américain » et que l'esclavage, la ségrégation et les minstrels n'étaient pas « leur » histoire. Ce dernier poursuit en accusant ceux qui se sont exprimés contre le blackface présent dans le Bye Bye de se ficher « de l'histoire de notre peuple et de sa culture ». Chers lecteurs, pour un court aparté, je vous invite à prêter attention à l'exclusion flagrante présente dans les propos de ce chroniqueur par sa présomption franchement écÅ“urante, à travers son utilisation du « Nous » qui oppose intrinsèquement un « Eux », que les contestataires du blackface, nées au Québec ou ailleurs, ne connaissent pas l'histoire de leur terre natale ou d’accueil. Par cette affirmation sournoise, ce dernier sous-entend nécessairement que les individus qui se prononcent contre la pratique du blackface, et ceci, en présentant des arguments valides, ne font aucunement partie de la culture québécoise et s'inscrivent dans une catégorie « autre ». Entre d'autres termes, ils ne sont pas des Québécois.
À ces propos qui m'ont énormément dérangée, je réponds à ce chroniqueur que « votre » histoire m'a été inculquée en tant qu'immigrante, de mon arrivée au primaire à mes études collégiales et encore de nos jours. Moi-même et tant d'autres qui n'acceptons pas cette pratique odieuse, maîtrisons l'histoire du Québec ou du moins ne sommes pas complètement ignorants envers celle-ci. Toutefois, à la lueur de ces propos impertinents, je ne peux qu'en conclure que ce chroniqueur a lui même des lacunes historiques puisqu'il avance que l'esclavage, le racisme et le blackface sont exclusifs aux États-Unis, alors que ces déclarations s'avèrent être erronées.
Effectivement, quiconque ayant un souci pour l'histoire des noirs saurait que ni le Québec et ni même le Canada n'a échappé aux ravages de l'esclavage des noirs ou du blackface, comme l'explique si bien l'anthropologue Micheline Labelle. Cette dernière, se spécialisant dans les questions de « race » et de racisme, s'est exprimée éloquemment dans un entretien avec le Montreal Gazette sur l'argument incohérent utilisé par plusieurs défenseurs du blackface: « Certes, le Québec ne partage pas la même histoire que les États-Unis en matière de traite d'esclave NoirEs, mais tout comme leur voisin, elle connait une histoire colonialiste [...] Il y avait de l'esclavage autant au Canada français qu'au Canada anglais. Bien entendu, l'esclavage que le Canada a connu n'était pas du même calibre que celle des Américains; ce n'était pas de l'esclavage de plantation, mais il demeure que les idéologies racistes, tout comme les idéologies sexistes, sont des réalités vécues à l'échelle planétaire. Ces deux éléments, à savoir le racisme et le sexisme, font partie d'une culture géopolitique du système mondial. Il en convient que ces réalités prennent différentes formes selon l'endroit où évolue un individu, mais, cela dit, le Québec ne s'en échappe pas. » (traduction libre de l'anglais)
Parallèlement, pour taire une fois pour toutes la thèse que la tradition du blackface ne s'inscrit pas dans l'histoire du Canada ou du Québec, la professeure agrégée du programme d'histoire de l'art de l'université McGill, Charmaine Nelson, invite les sceptiques allergiques aux faits historiques à repenser leur argumentaire dans ces passages d'un article du Montreal Gazette: « Au musée McCord, l'on peut retrouver des clichés de minstrels qui se sont déroulés à Montréal [...] Il y avait des troupes américaines de grandes renommées qui venaient faire des spectacles au Canada, mais aussi à Montréal. Nous avions même nos propres troupes canadiennes. [...] Aller jusqu'à affirmer que ce n'est pas notre histoire est faux. » (traduction libre de l'anglais)
En d'autres mots, il ne revient pas à une poignée de réactionnaires de réécrire l'Histoire ou d'en donner leurs interprétations révisionnistes. S'entêter à croire que l'histoire du Québec n'est pas tachée par l'esclavagisme, le racisme ou même du blackface est aberrant. Certes, et je le réitère, l'esclavage au Québec n'était pas aussi massif que celle des États-Unis, mais non pas parce que les Canadiens et les Québécois étaient moralement supérieurs aux Américains, mais en raison du fait qu'il n'y avait pas eu l'établissement du système d'exploitation agricole qu'est les plantations de grandes ampleurs. En rétrospection, un tel système aurait requis une main-d'oeuvre non payée, à savoir des esclaves, tel qu'expliqué dans cet excellent article. Mais assurément, de par l'intransigeance des personnes qui nient le racisme associé au blackface, il est facile pour ces derniers d'ignorer le contexte dénigrant de la pratique afin de mieux apprécier ce que je qualifie d'humour médiocre. Pour les partisans de cette pratique, imposer leurs visions apologistes en créant de faux débats n'est qu'un moyen, malheureusement efficace pour ceux qui manquent de jugeote, d'ignorer le « chiâlage » des mécontents. Or, vouloir et demander l'abrogation de la pratique n'est pas une question d'un manque de sens de l'humour ou une question de soumettre le blackface « made in Québec » à une idéologie supposément américaine. De plus, telle que l'affirme Charmaine Nelson, une chose importante à retenir est que l'intention derrière le geste est sans importance. Peu importe si le motif derrière un acte de blackface est de bonne ou de mauvaise foi, il demeure que rien ne pourra dissocier l'acte de son aspect dérisoire et de sa charge historique.
En revanche, il est important de clarifier qu'indépendamment du fait que le blackface soit lié aux minstrels et à une histoire raciste, elle peut maintenir sa dimension blessante et déshumanisante en dehors de cette sphère théâtrale et discriminatoire. Et là , je fais référence à un néo-blackface.
Le néo-blackface
Évidemment, je n'ai pas inventé ce néologisme, mais en bref, le néo-blackface fait référence à un blackface post-minstrels. Il s'agit en fin de compte du même concept, mais inséré dans un contexte socio-culturel différent. Pourtant, bien que dans cette mutation du blackface le but n'est pas forcément de ridiculiser la négritude, sa pratique détient tout de même un caractère insultant dans sa simplification de l'identité noire. À titre d'illustration, le néo-blackface est retrouvé dans certains films et surtout lors des périodes festives comme l'Halloween.
Hélas! Contrairement au mythe, le Québec n'est pas à l'abri de ce fléau. En 2011, lors d'une activité célébrant le début de la session, des étudiants de l'Université de Montréal, pour prêter « hommage » à l'athlète jamaïcain Usain Bolt, se sont peinturluré le visage de maquillage noir en arborant des perruques à la dreadlocks tout en étant vêtus d'un accoutrement qui rappel les couleurs traditionnelles de la Jamaïque. Notez que ces derniers scandaient à l'unisson « fumons plus de marijuana » pendant le rassemblement. Puis, en 2013, c'est au tour du comédien Mario Jean, lorsqu'au Gala des Oliviers, ce dernier s'est déguisé en Boucar Diouf. Puisque que c'est à la mode, Joël Legendre, toujours en 2013, rejoint la nouvelle lubie lorsqu'il feint Gregory Charles au Bye Bye 2013 en faisant du blackface. Également, en 2014, le Théâtre du Rideau Vert laisse sa marque dans cette liaison qui perdure entre le divertissement québécois et le blackface. En effet, lors du spectacle Revue et corrigée, un comédien, le visage barbouillé d'un fard noir, a incarné P.K. Subban, l'habile défenseur du Canadiens de Montréal, dans une capsule vidéo diffusée au courant du spectacle.
Malheureusement, ces événements ont majoritairement été décriés dans les médias anglophones. Plusieurs médias francophones se sont soient tu sur le sujet ou ont qualifiés la réaction de ceux qui désapprouvent le blackface, d'excessive. Là -dessus, il n'y a rien de nouveau! Néanmoins, pour autant que la « race » ou l'ethnicité seront des facteurs déterminants dans l'acquisition d'opportunités, pour autant qu'une « race » sera davantage la cible de joke poches comparativement aux autres « races » et pour autant que le niveau de dignité d'une personne sera proportionnel à sa couleur, on ne parlera pas d’excès lorsqu'un groupe se mobilise pour mettre fin à une pratique qui n'a pas sa place dans une société dite égalitaire. La « race » même en étant un construit, a des répercussions réelles et c'est pour cette raison que le blackface, aussi radicale que ça puisse paraître, n'est pas acceptable même dans un contexte humoristique.
Louis Morissette et son manque de tact
À travers les propos de Louis Morissette, l'on peut certainement apercevoir une grande insensibilité. Toutefois, je ne le qualifierai pas de raciste. Plutôt, Louis Morissette est un individu qui baigne dans son privilège d'homme blanc, hétérosexuel, vivant confortablement, et le tout, en possédant l'entièreté de ses capacités physiques et cognitives. Ces dernières lignes, à mes yeux, sont les assises qui, entres autres facteurs, appuient la raison pour laquelle un homme étant constamment validée par la société et dont l'identité est rarement la cible de moqueries stigmatisantes a de la difficulté à concevoir pourquoi un sketch avec un cas de blackface est décrié par plusieurs. Mais vraisemblablement, Louis Morissette semble ne pas vouloir atteindre ce niveau de compréhension puisque tel un enfant capricieux, ce dernier s'est plaint dans le magazine Véro d'avoir eu à céder aux « menaces » de quelques responsables à Radio-Canada qui lui conseillaient d'engager un acteur noir pour interpréter François Bugingo, un noir! À contrecoeur, il me semble puisqu'il a avoué s'être senti forcé d'engager un Noir, celui-ci engage l'acteur Normand Brathwaite, un mulâtre qui comme vu, arborait du blackface. En poursuivant sa réflexion dans sa médiocre plainte, Morissette se questionne sur l'interchangeabilité des gens. Pourquoi un Blanc ne peut jouer un Noir, se demande t-il? Pourquoi, ne pas simplement engagé un acteur Noir pour joué un Noir, ai-je envie de lui demander? Les Blancs monopolisent déjà suffisamment les rôles de personnages principaux. Et qu'il m'épargne l'argumentaire de ghettoïsation ou de communautarisme des Noirs ou autres groupes racisés, sous le pretexte qu'il faut éviter de se caser dans son identité. Parce que oui, il y a une certaine ségrégation volontaire au sein des gens racisés, mais c'est justement parce qu'il n'y a pas une envie d'inclusion de la part du groupe dominant.
Finalement, pour s'enfoncer davantage dans son ignorance, Morissette affirme que la réaction des protestataires du blackface présent dans le Bye Bye qu'il a produit était une attaque à sa liberté artistique tout en surnommant lamentablement ceux-ci de « Moustiques » du fait qu'ils soient « gossants ». Cependant, ce que M. Morissette ne semble pas comprendre est que, comme l'affirme le politicien Amir Khadir, « la notion du blackface ne relève pas de la liberté de création » et qu'en second lieu, la réaction des « Moustiques » n'est pas une tentative de censure envers son art, mais plutôt un effort de la part de ceux-ci, à travers leurs revendications, de proscrire le blackface et d'encourager une plus grande diversité dans les écrans, dignes de la démographie actuelle du Québec. Non pas une représentation stéréotypée des groupes racisés comme l'exemplifie très bien cet article.
Dans une autre lignée, Louis Morissette étant un scénariste et un réalisateur, il est de sa responsabilité d'assumer les réactions tant négatives que positives qu'engendrent ses créations. L'art est subjectif et n'éveille pas en chacun une réaction uniforme. En ce sens, se plaindre d'une attaque envers la liberté créatrice parce que des citoyens osent se prononcer contre un contenu douteux est insensé et démontre un désir invraisemblable d'atteindre une unanimité. Or, pourvu qu'il existe une liberté de créer, les consommateurs de cet art auront à leur tour la liberté d'exprimer leurs critiques, nonobstant leurs natures.
Ces « Moustiques » qui inventent
Ce qui m'a davantage titillée dans cette mêlée sont les tentatives acharnées de certains de dépeindre les individus qui demandent l'éradication totale de la pratique du blackface au Québec comme étant de simple vaux rien qui cherchent à semer la pagaille. Notamment, ces attaques sévères proviennent de chroniqueurs et d'usagers de médias sociaux. Ces gens là , au lieu d'essayer de comprendre la cause fondamentale des frustrations, se plaisent à réfuter absolument tout et utilisent leur plate-forme publique afin de diminuer l'importance des revendications. Des termes tels que « chialeux professionnels » ; « empêcheurs » ; « antiracistes radicaux » ; « gauchistes » ; « moustiques » et « experts sociaux » sont les qualificatifs déplorablement choisis par des chroniqueurs pour insulter sournoisement des gens de toute horizon, unis pour une même cause et soutenant quatre simples demandes: l'abolition du blackface au Québec, une meilleure représentation des minorités dans les médias et les établissements des arts québécois, des excuses publiques de la part de Louis Morissette et finalement, l’établissement d'un plan clair, par les différents paliers gouvernemental, visant à combattre la discrimination et le racisme.
Mais en vain, pour la chroniqueuse Sophie Durocher, cette mobilisation est perçue comme étant une violation de la liberté d'expression de Louis Morissette et critiquer les propos de la vedette revient à le censurer. Tous des arguments qui semblent souvent revenir, à tort. De plus, pour la chroniqueuse, affirmer qu'il y a un manque de diversité dans les écrans québécois est un mensonge. Or, ce qui échappe aux gens qui partagent un discours se rapprochant à celui de Sophie Durocher est que l'existence d'organismes tels que Diversité Artistique Montréal (DAM), dont justement la mission est la promotion de la diversité culturelle en favorisant l'inclusion, n'est pas une initiative futile. L'établissement d'une telle institution est précisément dans l'optique de contrecarrer la triste réalité qu'est le manque de diversité dans les instances artistiques et culturelles du Québec. Le mensonge est de clamer le contraire.
Une chose est claire, ces raisonnements ne font que subsumer le sujet du blackface dans des débats sur la liberté d'expression, la censure et autres sujets importants, certes, mais non liés. En fait, ces rhétoriques sont de piètres tentatives de déviation. Néanmoins, cette banalisation constante des cas d'insensibilité raciale me choque réellement. Notamment, j'observe que parler de racisme semble équivaloir à crier aux loups pour certains. Par exemple, dans son article en défense de Louis Morissette, Mathieu Brock-Côté caractérise ceux qui ont exprimé leur indignation envers le blackface comme étant des individus faisant « carrière dans les lamentations victimaires » puis énonce ceci: « nos antiracistes extrêmes ont besoin de s'imaginer une société raciste pour continuer de militer et de s'indigner. Ils sont dominés par un fantasme. Et ils veulent nous l'imposer aussi. » Désapprouver la forte réaction contre le blackface avec des arguments valides, certainement, mais nier l'existence du racisme va trop loin, car ce qui est une réalité est la présence actuelle du racisme dans la société québécoise et elle va au-delà d'une discrimination flagrante. Le racisme est subtil et systémique et d'ailleurs, il peut se manifester lorsque des individus perçoivent un groupe racisé comme un simple déguisement.
Tout de même, il y a long à dire lorsque, dans une société prétendument égalitaire, s'exprimer contre une pratique clairement désuète et qui, à travers son caractère réducteur, terni la dignité d'un groupe, amène des individus à ouvertement présenter ceux-ci comme étant déraisonnables. Ça devient particulièrement grave, lorsque cette attaque provient de la part d'individus qui prônent la liberté d'expression et déplorent la censure. De plus, ce qui m'irrite encore plus chez ces gens qui refusent de comprendre le pourquoi de la perversité du blackface, est leur manie à taire ceux qui sont personnellement indignés tout en leur dictant ce qu'il devrait trouver offensif et ceci en avançant de faux postulats allant de l'affirmation que le blackface est un concept américain à l'affirmation que le blackface fait par un Noir n'est pas tout aussi outrant. Je suis davantage consternée lorsque cette forme d'autoritarisme, de paternalisme et de condescendance se manifestent chez des individus dont l'identité ne sera jamais la cible de tentatives massives d'incarnation de leur « race ».
Pour en finir, non, je n'en veux plus du blackface au Québec et le mécontentement commun devrait être une raison suffisante pour que chaque personne possédant un minimum de sensibilité ne perpétue pas la pratique en, justement, la pratiquant. Il ne s'agit ici ni d'un symptôme de citoyens qui enfoncent la société dans la rectitude politique ni d'une atteinte à la liberté d'expression ou de création. Et non, ce n'est pas parce que le mot blackface n'a pas une équivalence en français que la pratique est pour le moins offensante, contrairement au raisonnement boiteux de Gilbert Turp.